Le problème des brevets logiciels en Europe...

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Auteur: Jean-Michel Bonnefond
Date:  
À: guilde
Nouveaux-sujets: Re: Le problème des brevets logiciels en E urope..., Re: Le problèm e des brevets logiciels en Europe...
Sujet: Le problème des brevets logiciels en Europe...

Salut,

Pour apporter ma pierre a l'édifice, j'ai écrit ce petit texte a propos des
brevets logiciels que je compte diffuser largement a mon carnet d'adresse.
Il est difficile de parler des brevets de façon concise et j'ai tenter de
faire court, mais je pense que c'est déja trop long.

J'aimerais avoir votre avis sur ce texte et savoir si je ne raconte pas trop
de conneries avant de l'envoyer...

Merci,
Jean-Michel.
PS: je vous invite a le diffuser aussi au passage ;-)

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Bonjour,

Je souhaiterai vous parler un peu du problème des brevets logiciels.

Cela vous semblera peut être de peu d'importance en comparaison des autres
catastrophes humaines de la planète, mais ce problème qui risque fort bien de
nous rapprocher a grand pas du fameux Big Brother de George Orwells (dans son
livre 1984)...

Ce message risque d'être un peu long, car la problématique n'est pas simple
mais je vais tacher de faire concis et d'exprimer le plus clairement possible
le problème en vous laissant des liens vers divers sites web pour ceux qui
voudront approfondir, en espérant que vous aurez au moins le courage de lire
ce mail jusqu'au bout.

A l'époque ou l'on parle beaucoup du referendum sur la constitution
européenne, voici une des nombreuses choses qui se trame dans notre dos a
Bruxelles.

La semaine dernière, le conseil de l'union européenne et sa présidence
luxenbourgeoise sous la pression forte des grand lobbys informatiques a
outrepassé le règlement intérieur même du Conseil pour faire passer en force
un texte de loi sur la "brevetabilité des inventions mises en oeuvre par
ordinateur". La troisième tentative fut la bonne et ce texte est maintenant
en attente de deuxième lecture par le parlement européen pour être
définitivement adopté.

Cela fait déjà plusieurs années que la majorité des acteurs informatiques
européens, PMI/PME, des experts et des partisans des logiciels libres se
battent contre cette directive, pas exactement contre a vrai dire, car dans
le contexte d'économie de marché actuel, une loi sur la brevetabilité des
logiciels est devenu quasi indispensable, mais nous nous battons pour que la
définition de ce qui est brevetable ou non, soit clairement établit dans la
loi, ce qui n'est absolument pas le cas dans le texte adopté par le conseil
européen, ouvrant la porte a toute les dérives, risquant fort de couper court
a la création de programmes en Europe et d'entraver jusqu'a la libre
circulation des idées.

Si la directive "Brevets logiciels" est adoptée, elle validera de fait les 30
000 brevets logiciels environ actuellement enregistrés sans légitimité auprès
de l'Office européen des brevets (OEB). Le "One Click" d'Amazon, le "Caddy
électronique" de Sun Microsystems, la tarification dynamique, le principe du
pare-feu (firewall), le double clic ou encore la barre de progression
figurent parmi les brevets enregistrés par l'OEB et dont les trois quart
appartiennent à des entreprises extérieures à l'union européenne.

Comme un bon exemple vaut mieux que deux tu l'aura, si vous vouliez monter un
petit site web pour vendre votre livre sur les insectes, voici le nombre de
royalties que vous allez devoir payer :
http://webshop.ffii.org/index.fr.html

Autre exemple, une société, ou un developpeur indépendant ne pourra pas vous
afficher une barre de progression dans son logiciel sans devoir payer des
royalties pour chaque copie qu'il distribuera a la société qui a déposé ce
brevet. Cela signifie évidemment la mort annoncé de toutes les petites
société qui ne pourront pas se payer les frais de recherche d'anteriorité
pour chaque ligne de code qu'elles écrivent (cela représente actuellement
plus de 10% des budgets de R&D des sociétés américaines), les frais de dépôts
de brevet et surtout les énormes frais d'avocats liés aux procès
qu'engageront inévitablement les majors informatiques contre ces sociétés
dans le but de conserver leur suprématie et d'imposer leur produits sur les
marchés (lobbying).

Cela impacte aussi énormément le monde du logiciels libre qui se base sur le
bénévolat des developpeurs et sur l'ouverture du code source de ses
programmes. Ces projets ne disposant pas d'argent, il ne déposerons pas de
brevets sur les technologies qu'ils mettent a la disposition de tous le monde
et des majors peu scrupuleux voulant s'emparer d'une part de marché
particulière pourront déposer des brevets développés par une communauté du
logiciel libre puis attaquer cette même communauté pour utilisation abusive
d'une technologie breveté et obliger le projet a s'arrêter.

On y vois évidement la tout l'interet que peuvent porter des sociétés comme
Microsoft sur une telle aubaine. Après avoir tenté les techniques de FUD(*)
contre les logiciels libres, en faisant croire que les produits open-source
n'avait pas les mêmes qualités techniques que leur produits, puis après que
cet argument ne convainque plus personne, ils ont essayé de faire passer
l'argument financier en assurant qu'une migration vers des solutions libres
couterait plus cher que de rester avec des logiciels propriétaires (sur la
base d'études commandité par ces sociétés, ne prenant pas en compte certaines
informations comme la récurrence de l'investissement d'achat de licence, ou
en incluant l'achat de matériel dans le cas de la migration mais pas dans
l'autre cas, etc...)

Ces lobbys cherchent donc maintenant a tuer l'innovation des petites
structures en Europe et a tuer les projets libres non plus en luttant par la
qualité technique de leur produits, mais sur le plan juridique...

Le conseil européen (organisme composé de représentant des états choisis par
les gouvernements) et le parlement européen (composé de député élus par les
peuples européens) s'entredéchirent sur le sujet depuis trois ans car le
parlement a pris conscience de l'effet dévastateur de cette loi alors que le
conseil semble plus enclin a accepter les arguments financiers des lobbys.

Il faut voir que cette loi est soumise a des pressions immenses car les
retombés pour ces lobbys (qui font dors et déjà de gros bénéfices sans elle)
se situerait entre 35 et 40 milliards de dollars par an de redevances.

Mr Michel Rocard, député européen, rapporteur de la directive sur les brevet
logiciels au parlement et dont je reprend ici une partie du texte, s'exprime
ainsi sur le sujet (lien sur l'article complet que je vous invite a lire en
fin de ce message) :
"Nous n'avons jamais pu parler un langage commun avec les représentants des
grands groupes que nous avons rencontrés - et notamment ceux de Microsoft.
Leur parler de libre circulation des idées, de liberté d'accès au savoir,
c'est leur parler chinois. Dans leur système de pensée, tout ce qui est ôté
au champ du profit immédiat cesse d'être un moteur pour la croissance. [...]
Beaucoup d'entre nous, au Parlement, conviennent que jamais ils n'ont eu à
subir une telle pression et une telle violence verbale au cours de leur
travail parlementaire. C'est une énorme affaire."

La volonté du peuple européen est donc encore une fois bafoué face aux énormes
pressions des lobbys.


Que pouvons nous faire, que nous reste il comme solutions?

Tout d'abord une plainte pour vice de forme a été déposé auprès de la cour
européenne contre le passage en force effectué par la présidence
luxembourgeoise. Mais, il ne faut pas en attendre grand chose, car même si le
vice de forme est reconnu par la justice, vu la puissance juridiques des
lobbys et leur art de faire faire traîner les procédures, il sera bien trop
tard lorsque le jugement sera rendu.

Il nous reste surtout la voix du parlement européen qui va voter au mois de
juin et dont vous aurez compris que même si une majorité des députés sont
conscient des graves implications de cette loi, ils subissent une pression
immense des lobbys pour la faire valider. D'autre part, cette loi ne peut
être rejeté que si la majorité absolue des députés la rejette (c'est a dire
que les députés absent le jour du vote ou s'abstenant seront comptabilisés
comme ayant voté pour l'adoption du texte)

Il nous faut donc faire nous aussi pressions sur nos députés pour qu'il
rejette ce texte en leur envoyant un courrier papier pour leur expliquer
notre point de vue.

Pour que cela soit efficace, la priorité la plus élevée dans le combat contre
les brevets logiciels est d'augmenter le nombre de personnes ayant conscience
du problème et donc de diffuser au maximum cette information en leur
renvoyant ce mail.

Voici pour terminer, un petit résumé de l'histoire de cette loi, ainsi que
quelques liens utiles pour vous renseigner sur le sujet et un mini glossaire.

Je vous remercie d'avoir pris le temps de lire ce message, il y aurait encore
tant a dire mais j'avais promi de faire court et c'est déja raté... en
esperant vous avoir un tant soit peu sensibilisé a ce sujet.

Jean-Michel.

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Voici une petit résumé de la rocambolesque histoire de cette loi :

La démarche initiale de la Commission européenne, début 2002, visait à "mettre
de l'ordre dans un champ légal chaotique". Le texte a été en fait rédigé par
un membre du personnel Microsoft en collaboration avec l'OEB!!
Le texte ne contenait donc aucune disposition juridique pour établir la ligne
rouge entre le brevetable et le non-brevetable. Le Parlement s'est saisi de
ce texte en première lecture et a proposé un grand nombre d'amendements pour
établir clairement cette limite. Le vote du Parlement, le 24 septembre 2003,
a adopté ces amendements par 361 voix pour, 157 contre et 28 abstentions.

Cela a mis la Commission en fureur et a déclenché une tornade de courriels
émanant d'une quinzaine de grands groupes dont Microsoft est le chef de file.
Le résultat des pressions de ces lobbys a été que le 18 mai 2004, la
Commission saisit le conseil des ministres d'un nouveau texte porteur d'une
conception encore plus dangereuse de la brevetabilité que le premier. La
contre-offensive est d'une brutalité inouïe. Le conseil des ministres de
l'industrie a délibéré très vite, en à peine une heure trente. Et ne fait
aucune référence aux amendements votés en 2003 par le parlement qui ont été
purement balayés du projet de loi.

Du coup, ce nouveau projet, durci, est adopté dans le principe. Pour l'adopter
formellement, en droit, il y a une procédure expéditive qui est
l'"inscription en point A" à un conseil des ministres. Dans ce cas, le
conseil se prononce sans discussion. Les présidences irlandaise et
néerlandaise nous ont fait trois fois le coup du point A, dont deux fois, ou
ils ont essaye de passer la loi en catimini lors du conseil des ministres de
l'agriculture, consacré à la pêche ! C'est simplement scandaleux. A chaque
fois l'adoption formelle du texte a été évitée de justesse, grâce aux
interventions de la Pologne. Cependant cette troisième fois, lors du conseil
du 7 mars 2005, la loi est passé en force (en ne respectant pas certains
articles interne du conseil européen) malgré les protestations de la Pologne,
du Danemark et du Portugal, demandant un passage en point B (pouvant être
débattu) ainsi que de l'Espagne, seul pays a avoir voté contre le texte.

Quant à la France, elle se tait.

Jacques Chirac s'était prononcé contre la brevetabilité extensive des
logiciels pendant la campagne présidentielle de 2002, je cite :
"Autoriser les brevets sur les logiciels mettrait l'Europe sous la coupe des
entreprises américaines. Il faut refuser la vassalisation technologique
vis-à-vis des Etats-Unis et soutenir le logiciel libre, la créativité de
l'informatique française et européenne et notre indépendance technologique.".

Mais depuis, Mr Chirac a reçu a l'elysée Mr Bill Gates, PDG de Microsoft,
avec tous les honneurs du a un chef d'état et le ministre de l'industrie,
Patrick Devedjian, présent aux conseils des ministres européens ne s'est pas
élevé contre le texte...

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Voici quelques liens fort utiles sur le sujet :

Le site NoSoftwarePatents explique très clairement la problématique de la
brevetabilité du logiciels et des conséquences qu'elle aura. C'est un très
bon point d'information sur le sujet :
http://www.nosoftwarepatents.com/fr/m/intro/index.html

Votre boutique web est breveté !! Ou comment par l'exemple d'une petite
boutique internet on vous montre l'etendu et les dangers des brevets :
http://webshop.ffii.org/index.fr.html

Une interview du député Michel Rocard (rapporteur de ce projet au parlement
Européen) paru dans "le monde" exprimant son point de vue :
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3244,36-398497,0.html

Une interview interessante de Mr Francois Hollande sur le sujet:
http://www.01net.com/article/217209.html

Association pour une infrastructure de l'information libre (FFII) :
http://www.ffii.org/index.fr.html

Enfin je vous engage a faire vous même des recherches sur internet sur le
sujet et ne pas prendre mon seul avis pour argent comptant, mais de vous
faire votre propres opinion.

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Petit glossaire :

OEB :
Organisme Européen des Brevets. Organisme qui recueille sans légitimité des
dépôts de brevets depuis plus de 10 ans, en espérant que ceux ci soient un
jour validés. Actuellement, plus de 30 000 brevets ont été déposés chez eux.

FUD :
(Fear Uncertainty, and Doubt) Peur, Incertitude et doute en français.
Technique qui consiste a faire de la désinformation pour décourager les
personnes d'utiliser une nouvelle technique concurrente, par exemple : "Vous
pouvez essayer d'utiliser le logiciels X a la place du notre mais il y a de
forte probabilité pour que vous perdiez toutes vos données".

Logiciel Libre :
L'expression « logiciel libre », fait référence à la liberté pour tous
(simples utilisateurs ou développeurs) d'exécuter, de copier, de distribuer,
d'étudier, de modifier et d'améliorer le logiciel. Plus précisément, elle
fait référence à quatre libertés pour un individu ayant acquis une version du
logiciel, définies par la licence de ce logiciel :
* la liberté d'exécuter le programme, pour tous les usages.
* la liberté d'étudier le fonctionnement du programme, et de l'adapter à ses
besoins, pour cela, l'accès au code source est nécessaire.
* la liberté de redistribuer des copies, donc d'aider son voisin.
* la liberté d'améliorer le programme et de publier ses améliorations, pour
en faire profiter tout les personnes qui utilise ce programme.

Lobby:
Un lobby est un groupe de pression ou groupe d'interêt ayant pour dessein
d'influencer un pouvoir public ou privé afin de refléter un point de vue.
L'origine du mot anglais lobby date du XIXe siècle et désignait les couloirs
de la Chambre des communes britannique où les membres de groupes de pression
discutaient avec les députés afin de les influencer.
En France, ce terme a une signification essentiellement péjorative, signifiant
un groupe de pression plus ou moins secret voulant contraindre les décisions
politiques de façon non démocratique.